Pourquoi développer ses compétences fait peur

13 septembre 2016

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Aujourd’hui, il est difficile d’échapper à l’injonction du développement des compétences que ce soit au niveau individuel, collectif ou organisationnel... Les dispositifs qui accompagnent cette injonction sont de plus en plus nombreux et se traduisent le plus souvent par des moyens formels (analyses des pratiques en supervision, formation catalogue ou sur site, coaching, etc.) pourtant l'apprentissage en situation de travail ne va pas de soi et suscite bien des réticences chez certains travailleurs. Nous allons tenter de comprendre pourquoi.

En tant que formatrice et superviseur d'équipe au CEFORM, j'ai souvent été confrontée à des responsables d'équipe ou à des travailleurs qui me faisaient part des difficultés à mobiliser certains de leurs collègues ou cadres dans le développement de leurs compétences.

Alors que les dispositifs, notamment des fonds via l'Apef, permettent au secteur non marchand de développer les compétences de ses travailleurs sans que la dimension financière ne soit un frein majeur, on constate que des blocages individuels persistent.

On pourrait même être amenés à penser qu'il y a deux catégories de travailleurs : ceux qui veulent se former et ceux qui ne veulent pas. Les premiers étant souvent considérés comme étant ceux qui s'intéressent le plus à leur travail, les plus motivés, les plus professionnels, etc.  Je ne partage évidemment pas cette vision.

En effet, on tend à oublier qu'apprendre implique des tâtonnements, des prises de risques, des erreurs qui semblent contraster avec l'activité organisationnelle réelle et individuelle. Ne pas prendre en compte cette spécificité revient en quelque sorte à nier une condition indispensable à tout processus d'apprentissage : le sentiment d'être autorisé à "ne pas savoir" ou celui de se tromper en toute sécurité.

Sécurité au travail, motivation et compétence

En se référant à Maslow et sa fameuse pyramide, on constate que le deuxième niveau de besoin chez l'homme est celui de sécurité. La sécurité étant intimement liée aux lois relatives au bien-être au travail, elle fait ou doit faire l'objet d'attention particulière de la part de tout bon employeur.

Quand on pense sécurité, on pense généralement accidents de travail, risques physiques, etc. et on tend à réduire les aspects psychologiques au stress lié à la productivité. C'est évidemment bien réducteur.

Le sentiment de sécurité au travail c'est aussi un environnement de travail peu anxiogène avec un minimum de transparence et/ou de garanties sur la stabilité d'emploi, avec le droit à l'erreur et à la prise d'initiative, avec une définition claire des rôles et des fonctions,... Mais ce n'est pas tout, la sécurité professionnelle passe aussi par le sentiment de compétence.

En effet, se sentir compétent dans son environnement professionnel est essentiel pour se sentir bien au travail, sécure. Or pour beaucoup de travailleurs, développer ses compétences est inconsciemment devoir faire aveu d'incompétence. De la même manière, un travailleur qui est poussé par son employeur à aller en formation le vivra généralement comme un désaveu voire une sanction et mettra en place des stratégies d'évitement ou d'opposition. En plus, il y a tous ces travailleurs pour qui l'école, et donc la notion d'apprentissage, est synonyme de souffrance, d'échec.

Alors que la sécurité psychologique est une condition indispensable au bien-être au travail, elle est mise à mal par les mécanismes mêmes de la dynamique d'apprentissage, raison pour laquelle on observe ces blocages dès qu'il est question de développement des compétences.

Les étapes de l'apprentissage et la notion d'incompétence : pourquoi il faut sortir de sa zone de confort pour apprendre

Lors de tout apprentissage que ce soit à l’école, dans un sport, au travail, ou dans n’importe qu’elle situation de la vie quotidienne, il y a plusieurs étapes. Il est important de les connaître afin de savoir les appréhender et de comprendre comment nous assimilons les nouvelles informations mais aussi de comprendre pourquoi apprendre fait peur.

Etape 1 : Je suis inconsciemment incompétent - « Je ne sais pas que je ne sais pas »

Situation confortable, car comme le dit le dicton, ce qu'on ignore ne peut nous faire du mal…

Etape 2 : Je suis consciemment incompétent - « Je sais que je ne sais pas »

Cette phase, se caractérise par une prise de conscience, parfois douloureuse, de l'écart entre nos compétences et celles souhaitées/attendues. Chez certains, cela peut procurer une motivation importante à l’idée d’apprendre de nouvelles choses mais chez beaucoup d'entre nous cela peut aussi engendrer des peurs, un sentiment d'insécurité, une baisse d'estime de soi.  (zone d'inconfort +++)

Etape 3 : Je suis consciemment compétent – « Je sais que je sais »

C'est l'étape où l'on doit mettre en œuvre les nouvelles compétences acquises, les faire "entrer" dans sa pratique professionnelle effective.  Cette étape peut être source de démotivation car elle se heurte à notre résistance au changement. C’est en fait une des phases la plus importante car elle constitue le cœur même de l’apprentissage même si la transition entre les étapes 3 et 4, se traduit par parfois par une impression de ne plus rien savoir, d'être nuls. (zone d'inconfort +/-)

Etape 4 : Je suis inconsciemment compétent – « Je ne sais pas que je sais »

Ca y est les efforts ont fini par être récompensés. Vous savez faire, être et vous n’avez même pas à y penser. Lorsque vous avez atteint cette étape, tous les automatismes se sont mis en place. Vous connaissez les informations, vous savez faire les choses sans avoir besoin d’y penser. Les 3 étapes précédentes ont porté leurs fruits. Vous y ressentez la sensation grisante que vous maîtrisez la compétence. Vous êtes à l’aise et efficace, remotivé (zone de confort +++).

Apprendre signifie toujours qu'il faut prendre un risque, sortir de sa zone de confort.  

Ce principe s'applique aussi bien aux personnes qu'aux groupes. Les équipes, les organisations et même les pays ont leur zone de confort, caractérisée par ce qui se dit, ce qui ne doit pas se dire, les schémas de pensée, les interdits, la façon d'agir, de nous organiser, de diriger, de nous exprimer, de ressentir etc.

Le rôle du supérieur est donc capital dans tout processus d'apprentissage car ce sera à lui de faire en sorte que le travailleur passe d’une étape à l’autre dans les meilleures conditions et sans se décourager. Il doit non seulement lui garantir les conditions de sécurité nécessaire mais aussi l’accompagner tout au long de ce voyage.

Créer un environnement de travail "capacitant"

On l'a bien compris, renforcer le sentiment de compétence des travailleurs est essentiel pour développer leur bien-être au travail et leur motivation.

Réfléchir collectivement en équipe au plan de formation est déjà une étape importante pour développer ce sentiment de compétence, cela permet de faire le point sur les points forts d'une équipe, les compétences déjà acquises, etc.

Par ailleurs, que ce soit en formation ou en supervision, parler de ses pratiques, les mettre en perspective avec un cadre théorique, les confronter à d'autres réalités professionnelles peut également amener les apprenants à se rendre compte qu'ils sont plus compétents qu'ils ne le pensent, raison s'il en est de continuer à pousser les plus récalcitrants vers ce type de dispositif.

Pour cela, il revient aux responsables d'accompagner et sécuriser afin de donner aux équipes un environnement de travail capacitant à savoir un environnement qui permet aux personnes d'oser dire ne pas savoir, d'oser être, de faire, se tromper,... apprendre.  Et bien sûr un environnement où l'on croit que chaque individu à une capacité effective à changer, évoluer, se développer.

Chouette video à découvrir : Oser sortir de sa zone de confort 

 

L'apprentissage en situation de travail ne va pas de soi et suscite bien des réticences chez certains travailleurs...