Du tien, du mien, du lien

22 février 2019

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Cette livraison est un retour sur une lecture, celle du livre "Global burn-out" de Pascal Chabot, philosophe et professeur à l’Ihecs [1].

Cette thématique fait actuellement l’objet d’une attention particulière de la part des partenaires sociaux. Quel que soit le secteur. L’Apef a, par exemple, répondu à un appel à projet du Conseil National du Travail [2].  Les Fonds de FeBi soutiennent la formation et l’intervision sur cette thématique. 

Il semblait donc intéressant de mettre en avant ce bouquin car, d’une part, il permet de comprendre mieux cette pathologie qui sévit dans tous les secteurs d’activités et, d’autre part, car il fait un focus sur des acteurs clé de nos secteurs, les travailleur·euse·s des soins et de l’aide à la personne.

A l’origine du mal…

Pour Pascal Chabot, le burn-out met à mal la relation qui se construit dans un cadre professionnel entre l’individu et la société.  C’est parce qu’il y a travail qu’il y a burn-out [3].  C’est parce qu’il y a interaction entre l’individu, son travail et les valeurs sociales qu’il y a burn-out.  Ainsi le burn-out est « un état de mal-être résultant d’une réalité propre à la personne qui « accepte » de se surconsommer et d’un cadre permettant cette action. (…).  Le burn-out est le miroir d’une adaptation devenue frustrante et absurde, car elle ne vise plus qu’à elle-même ».

La cause du burn-out et la manière de le soigner ne peut donc se concevoir que de façon systémique, en recréant un lien vertueux entre une personne, un job et les valeurs qu’ils portent.

Des symptômes

Le burn-out prend lentement ses marques au cœur même de l’activité des travailleurs et travailleuses passionné·e·s par leur travail mais qui finissent par perdre le contact avec différents repères qui balisaient leurs actions :

  • le temps : l’action ne s’inscrit plus dans un projet ou dans un processus qui lui donne sens.  Elle n’est plus qu’une succession de moments correspondant à des tâches dont l’utilité ne mobilise plus.
  • l’adaptation : elle n’est plus utile à l’amélioration de la qualité de service aux bénéficiaires ou à l’auto-réalisation, mais un moyen pour permettre à l’organisation d’être plus productive pour elle-même.  Elle devient une pure démarche de rationalisation.
  • le sens : le bénéficiaire n’est plus le centre d’attention et l’écart entre idéal et désir de réaliser un travail de qualité devient trop important.

Ceci provoque chez l’employé·e du cynisme, de la frustration, de la colère ou encore des pertes de repères dans l’espace-temps, jusqu’à en être, un jour, « cramé », « brulé au-delà » et avoir besoin de soutien.

Prendre soin des donneurs de soins et d’aide

Au vu de ces éléments, la multiplication des cas de burn-out dans le monde du soin et de l’aide n’est pas le fruit d’un hasard.

Pour ces métiers, se met en place une triple lutte liée :

  • aux problèmes que rencontrent les bénéficiaires ;
  • aux résonnances que provoquent les luttes rencontrées par les bénéficiaires dans le for intérieur des travailleur·euse·s ;
  • aux manques de reconnaissance [4] du monde dans lequel les travailleur·euse·s agissent.

Ce besoin de reconnaissance est spécifiquement analysé dans un secteur qui a souvent mis en avant le sens du sacrifice et qui actuellement souligne l’obligation de résultat et de compétences.   

Dans la relation travailleur-monde, Pascal Chabot met en avant l’importance d’une gratitude par rapport à l’apport : « seule une rétribution symbolique peut être à la hauteur métaphysique de ce don de son plus intime capital, le temps ».  Elle représente, pour le·la travailleur·euse social·e, une mise en avant de l’utilité de son travail au réel, de sa force de transformation.[5]

Selon Chabot, le burn-out a donc une triple dimension : l’essoufflement du perfectionnisme individuel ; l’épuisement de l’humanisme dans le monde au sein duquel le·la travailleur·euse s’active ; le manque de reconnaissance de l’organisation et du système dans lequel l’organisation agit. Il reflète, en miroir, la difficulté de prendre soin de la relation entre le·la travailleur·euse social·e et le monde dans lequel ce·cette travailleur·euse se pose comme moteur de transformation.

Un système complexes hors individu et hors corps

Global burn-out souligne également la difficulté, dans le monde du travail du soin et du social, d’établir et de conserver le lien dans des relations marquées par la complexité.  La gestion des individus et des égos n’est pas toujours facilitée par des modes de gouvernance soit très ouverts (sociocratie, autogestion…), soit très organisés (pyramide hiérarchique) peu maitrisés ou organisés.  De plus, le système intègre de plus en plus une rationalité qui se manifeste à travers une technologie qui dicte l’action des humains et un milieu de travail sans partage d’émotions.  Le feu n’est plus un signe de progrès, une ressource interne qui produit de l’envie, mais une combustion trop vive que pour être maitrisée par l’individu, et, qui plus est, est de plus en plus bombardé par un impératif de bien-être et de bonheur.

Dans ce contexte, il y a une certaine logique au fait que le burn-out implique tant l’esprit que le corps.

Une issue inéluctable ?

De part son regard de philosophe, Pascal Chabot est incité à faire reposer la responsabilité du burn-out non pas sur un type d’individu ou d’organisation.  Elle relève de l’impossibilité des deux à créer ou entretenir une relation.  Il n’est donc pas imaginable de proposer des solutions « clé sur porte » culpabilisant l’un ou l’autre.

Pour lui, il est essentiel de se problématiser le lien et de créer un ensemble de conditions pour rétablir une relation constructive de transformation mutuelle.  Ainsi, l’auteur invite le·la travailleur·euse à une certaine « fidélité » à soi, à la recherche d’un équilibre résultant d’un mouvement de balancier et non de l’atteinte d’une norme figée rarement atteignable, par faute de manque ou de trop-plein.

Mais, cet engagement ne peut tenir la route que si le monde du travail est pour sa part aussi créateur d’un espace de régulation qui met en avant le sens du travail et non ses aspects organisationnels comme but en soi. 

Bref, il invite à faire de « l’adaptation » un outil au service du métier et non pas une finalité en tant que telle. 

 


[1] Pascal Chabot, Global burn-out, Paris, PUF, 2013, 147 p.

Ce bouquin a inspiré le documentaire de Jérôme Lemaire Burning out, pendant lequel il suit durant près de deux ans le travail d’une unité chirurgicale d’un hôpital public de la ville de Paris

http://www.burning-out-film.com/

[3] C’est un facteur clé de différenciation d’avec la dépression que l’auteur perçoit comme une problématique interne à la personne.

[4] La reconnaissance dans le cade professionnel est multiple.   Elle peut se baser sur une initiative, un processus, un résultat.   Elle peut provenir des bénéficiaires, des pairs, de l’institution.

[5] L’auteur met en avant l’incapacité de certain·e·s   travailleur·euse·s à intégrer la reconnaissance lorsque celle-ci est donnée.   Il met en avant la difficulté à retirer de la jouissance du travail fourni.   Il souligne aussi l’ignorance du management dans sa fonction de reconnaissance ainsi que l’incapacité de la hiérarchie a en donner de peur de mettre en cause une relation construite sur le pouvoir.