Interview de Damien Kauffman, Formateur

29 octobre 2015

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Competentia a pour objectif de donner la parole à des acteurs du secteur à propos de la gestion des compétences, de la formation et de leur évolution.  C’est pourquoi nous lançons une série d’interview. Nous souhaitons l’approche pluridisciplinaire avec des partenaires sociaux, des opérateurs de formations, des professionnels.

L’idée est de créer un corpus de réponses autour de 10 questions clés sur les compétences.  Au fur et à mesure des interviews, cela permettra une mise en perspective les enjeux abordés.  Chaque témoin est invité à répondre, de manière partiale, à 4-5 questions avec lesquelles il a le plus d’affinité.

Nous vous invitons donc à découvrir des avis variés, ouverts et avisés. 

Interview de Damien Kauffman, le 1er octobre 2015

Chouette, ce midi après une réunion très axée « plomberie administrative », je soumets Damien Kauffman à l’interview.

L’avantage des praticiens de la systémique, c’est qu’ils créent des liens, des ponts.  Le dialogue se nouent et deux heures passent sans que l’on ne s’en rende compte.  L’inconvénient, c’est de devoir détricoter, un peu, le tout, sans perdre la cohérence du discours,  pour en faire une présentation aussi stimulante que ne le fut l’interview. 

Commençons donc par le début…

Mais, qui est Damien Kauffman ?

De son propre aveu, le nom de son métier est un peu rébarbatif : psychosociologue en organisation.  Mais il définit somme toute assez facilement son travail : « étudier les relations et les fonctionnements humains au sein des structures ».  Il intervient donc régulièrement comme accompagnateur ou formateur dans des structures du secteur, notamment via le CDGAI.  Il a aussi accompagné la mise en place de l’atelier competentia sur « le transfert des acquis ».

Voilà pour les présentations… Plongeons maintenant dans le cœur de l’interview…

Quels sont les enjeux, en termes de compétences, aujourd’hui et dans un avenir proche ?

Pour Damien Kauffman,  La question de compétences psychosociales est centrale. Ces compétences contribuent au bon fonctionnement relationnel, à l’établissement de rapports conscients et assumés au sein des équipes. 

Les asbl du secteur veillent souvent au bien-être des autres mais leurs travailleurs sont sous-équipés en outil de gestion de relations au sein des équipes.  Des dysfonctionnements apparaissent alors notamment liés aux questions de pouvoir, d’évaluation et de subordination.  Pourtant, de nombreux outils ont été développés dans le secteur non marchand pour favoriser une approche durable de ces questions : l’empowerment, le développement individuel et l’approche collective et participative.  Certaines structures non marchandes les ont parfois oubliés au profit de méthodes de gestion centrées sur la profitabilité. D’autres doivent se conformer à des modèles des pouvoirs publics et le « new public management » qui imposent des critères d’évaluation strictement quantitatifs.

Enfin, certaines structures rejettent purement tout outil estampillé « gestion ».

Notre interlocuteur nous invite donc à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain : « les outils valent par la pertinence de leur utilisation et non par l’instrumentalisation qui a pu en être faite par d’autres.»

Est-il utile de développer des compétences spécifiques pour une meilleure pratique professionnelle dans le non-marchand?

DK : « Il est important de nuancer.  Il y a des compétences techniques indispensables pour la bonne pratique professionnelle.  Leur maitrise parfaite s’applique à tous les secteurs ».

Mais, par rapport aux compétences psychosociales, il est important de permettre des liens.  Cela permet de mettre en avant les valeurs du non-marchand, de les partager et d’en faire la promotion, tout en prenant aussi les expériences positives développées autre part. Ce sont les hommes et les femmes, en tant qu’individu, qui doivent être porteurs de changement…

Comment injecter une logique « développement de compétences » au sein des institutions ?

Le point de départ : l’individu.  Il est essentiel de ne pas le cantonner dans un rôle et d’en faire un hyper spécialiste qui ne peut plus sortir d’un chemin tout tracé.

Prendre en compte l’auto-développement est donc central. Il est ensuite important de le relier à l’équipe et à l’institution grâce à de multiples espaces de dialogues dans la structure.  Ceci permet notamment d’éviter la définition de besoins uniquement à travers la traditionnelle entrevue avec le supérieur hiérarchique.  Cette entrevue en effet peut aussi être un moyen pour perpétuer le conformisme dans les rôles occupés par les uns et les autres au sein de structure

A quel changement devons-nous nous attendre dans la manière d’acquérir des compétences ?  En quoi cela influence-t-il les modes d’apprentissages ?

Damien Kauffman met en avant la « structure apprenante ».  Elle a pour base une distribution des rôles plus ouvertes, des capacités de décision partagée et une communication entre acteurs de la structure (entre travailleurs mais aussi avec les bénéficiaires et leur entourage) qui reflète ce fonctionnement.

De nouveaux cadres de travail sont à créer.  Les méta-connaissances (connaissances sur les connaissances et les processus liées à la connaissance) y occupent une place de choix pour permettre à chaque individu de choisir sa propre voie au sein de l’institution et devenir un acteur participant à la prise de décision et sa mise en œuvre.

Les besoins, les formats de formation ne sont plus définis par le haut, direction ou pouvoirs publics subsidiants.  Ils sont le fruit de discussions au sein des équipes, de partages entre professionnels.  Le but central de l’apprentissage est un apprentissage au sens plein du terme, qui permet l’appropriation des gestes professionnels par et entre acteurs.

La mode de fonctionnement lié à la structure apprenante implique donc souvent une révolution copernicienne au sein de laquelle une capacité de changement sur les pratiques de l’institution est nécessaire et saisie par les travailleurs.

L’intégration à tous les niveaux de la pratique de « structure apprenante » est une piste pour démultiplier les compétences.  Prenons l’organisation des réunions.  Cela peut paraitre banal mais révèle aussi beaucoup de la structure : qui a la maitrise de l’ordre du jour, de la parole ou de l’écriture du rapport ?  L’organisation d’une réunion induit des codes, des jeux de pouvoirs.  Si l’un ou l’autre en a le savoir-faire, il pourra, s’il le souhaite, tenter d’instrumentaliser celle-ci.  SI tous les travailleurs autour de la table ont une connaissance des pratiques, ils peuvent s’impliquer et décider d’exercer leur autonomie et leur responsabilité.