Retour sur l'atelier "Comment gérer la diversité des âges au travail ?"

20 novembre 2018

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Retour sur l’atelier « Comment gérer la diversité des âges au travail ? »

Le management de l’intergénérationnel est une thématique relativement nouvelle, apparue notamment au départ de politiques en matière d’emploi qui favorisent à la fois le retardement de la fin de carrière et l’emploi des jeunes ; mais pas seulement ! Le monde de l’emploi véhicule de plus en plus des modes d’organisation et de production qui induisent de la souffrance au travail, la déshumanisation et la compétition entre les travailleur·euse·s, provoquant des effets pervers parfois mis à tort sur le compte de l’âge.

Plus globalement, les stéréotypes véhiculés sur « les jeunes » et « les vieux » (et historiquement produits par le monde du marketing) renforcent la croyance qu’il y existe des générations uniformes en opposition. Celles-ci auraient des modes de fonctionnement et des besoins spécifiques (y compris dans le travail), exigeant une approche et une gestion différenciées.

Et si on (re)questionnait tout ceci ?

C’est ce que competentia a voulu faire en organisant, en partenariat avec Entr’âge asbl et en particulier Melina Letesson, un atelier sur la thématique de la diversité des âges au travail.  Le présent compte rendu fait référence à la présentation de M. Letessson et à son ouvrage de référence [1].

Se questionner et questionner son institution

Quand les participant·e·s partagent un mot-clé au sujet de la gestion des âges au travail, voici ce qui ressort : fatigue, lenteur vs rapidité, besoin d’adaptation du poste de travail, résistance au changement, refus de formation, rythmes de travail, hyper connecté vs déconnecté, problèmes de mobilité, décalage de méthodes de travail, valeurs liées au travail différentes, fracture numérique, partage d’expériences, échanges de savoirs, absentéisme, discriminations, conciliation entre vie privée et vie professionnelle… une  liste bien entendu non exhaustive d’une multitude des réalités vécues dans les institutions. Parfois positives… mais très souvent considérées comme problématiques.

Pour sortir de ces ressentis, notre intervenante invite à l’utilisation d’un outil afin notamment de favoriser la discussion, le recensement et l’objectivation de ce qui se passe dans l’institution : un diagnostic des enjeux du vieillissement au travail, à réaliser de préférence en équipe. Conçu selon trois axes, il questionne une série d’éléments sur les plans collectif, individuel et interindividuel et aborde donc l’ensemble des problématiques liées aux relations intergénérationnelles au travail. Il invite à identifier et prioriser les spécificités au sein des organisations, toutes ne rencontrant pas les mêmes défis. Le diagnostic constitue aussi un outil de suivi et de monitoring à réutiliser régulièrement, le contexte et le personnel des institutions étant en perpétuel changement.

Au niveau collectif, l’analyse porte entres autres sur la démographie des travailleur·euse·s, d’environnement spatial, de culture d’entreprise, d’outils de ressources humaines….

Au niveau des individus, l’analyse se penche sur des questions telles que la trajectoire professionnelle, la formation continue, l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, les mesures d’accompagnement proposées…

Enfin, les enjeux interindividuels sont également pris en compte: qu’en est-il du transfert des acquis, des mesures de mentoring/tutorat, gestion des conflits… ?

Gérer la diversité des âges au sein d’une institution s’aborde donc, selon Entr’ages, à travers des mesures collectives qui touchent l’ensemble du personnel, des actions individuelles « sur mesure » et des réflexions sur la gestion d’équipe.

Cela ne peut se faire qu’à partir d’une prise de conscience d’un certain nombre d’images que chacun·e véhicule sur les âges. Si ces stéréotypes (qui peuvent être positifs et négatifs) sont nécessaires et aident quotidiennement dans les rapports sociaux, ils deviennent dangereux lorsqu’ils se transforment en préjugés.  En effet, les préjugés soulignent des représentations négatives et peuvent induire des actes de discrimination ; on parlera alors d’âgisme, c’est-à-dire un ensemble de comportements et d’attitudes négatifs à l’égard d’un individu, basé sur l’âge de cette personne. Il peut concerner les personnes jeunes ou âgées. Rappelons que l’âge est l’un des 19 critères protégés par les lois belges anti-discrimination de 2017.

Déconstruire les représentations que nous avons sur notre propre génération et sur celles des autres constituent une étape essentielle du travail intergénérationnel.

Et questionner des concepts…

On parlait donc d’âge, de générations et d’intergénération ?

Mais qu’est-ce donc que l’âge ? A y regarder de plus près, ce concept recouvre une multitude de définitions. L’âge chronologique : 1, 10,47, 98, 112 ; l’âge cognitif : celui du développement de l’esprit et de la conscience ; l’âge légal : celui lié aux droits et devoirs ; l’âge biologique : celui du corps ; l’âge expérientiel :  l’âge des connaissances, de la sagesse, de la maturité ; l’âge sociologique : une phase de notre vie. Pierre Bourdieu désigne l’âge comme un donnée biologique socialement manipulée et manipulable.

Et les générations alors ? On trouvera aussi des interprétations très différentes selon le point de vue adopté. Démographique : un groupe de personnes nées pendant une période déterminée ; anthropologique : analyse selon les liens de filiations, familiaux et symboliques ; sociologique : réalité d’ordre temporel représentant un ensemble d’individus nés au même moment, une cohorte, qui fait référence à une communauté historique de mémoire et d’expérience.

Difficile aussi de trouver une définition unique de « l’intergénérationnel ». Dans l’emploi, la tendance dominante est à la thèse de la confrontation de trois générations (les fameuses X, Y Z), qui leur attribue des spécificités et des besoins particuliers en terme de management ! 

Pour Mélina Letesson, il est pourtant risqué de ne l’aborder que sous cet unique angle, qui renforce la stigmatisation, la classification des gens dans des petites cases et le sentiment « je suis différent·e », au détriment de la coopération et de la communication, alors que c’est l’objet même de la préoccupation des managers.

Favoriser le management centré sur les individus

Melina Letesson nous invite plutôt à découvrir des théories centrées sur l’individu, issues de la psychologie sociale.

Celle de Will Schutz (appelée ‘l’élément humain’) propose aux managers d’identifier les compétences « naturelles et spontanées » des travailleur·euse·s au sein d’une équipe et de favoriser la constitution de binômes complémentaires et efficaces.

Pour Meredith Belbin, une équipe est en équilibre lorsque neuf rôles sont remplis (concepteur, promoteur, coordinateur, etc.). L’enjeu est alors de faire collaborer des individus porteurs d’un ou plusieurs de ces 9 comportements intrinsèques.

Pour sa part, Melina Letesson s’appuie sur ‘la théorie des ensembles’ de Venne : trouver ce qui unit les individus, leurs points communs, plutôt que ce qui les sépare. Considérant que nous sommes tous et toutes relié·e·s les un·e·s aux autres par une ou plusieurs caractéristiques, compétences, centres d’intérêt, etc., cette approche favorise la compréhension et le partage entre les travailleur·euse·s et agit sur la collaboration professionnelle. Elle suppose de dépasser la vision cloisonnante des générations uniformes. Quelques exemples présentés lors des ateliers illustrent parfaitement cette idée : cette jeune employée qui, au début de sa carrière, a préféré adopter une position d’observation et de valorisation de l’expérience de ses collègues plus expérimenté·e·s ; tordant ainsi le cou à l’idée reçue que les jeunes entrant sur le marché de l’emploi sont arrogant·e·s et révolutionnaires. Ou encore cet administrateur de plus de 70 ans, hyper connecté, qui communique avec ses équipes via les outils de communication les plus modernes et va à l’encontre du stéréotype que les seniors sont dépassés ou réfractaires aux nouvelles technologies.

Enfin, qu’en est-il de la question des conflits dits intergénérationnels ? Un exercice de jeu de rôle a permis d’expérimenter que, dans une situation qualifiée de conflit intergénérationnel, l’âge n’est en réalité pratiquement jamais la source de la discorde. Pour comprendre et résoudre la situation, revalorisons l’empathie et questionnons l’organisation du travail, les modes de communication, de fonctionnements et de gouvernance, les tempéraments, les valeurs individuelles, etc. 

Bref, quelles pistes à poursuivre et à exploiter pour continuer à questionner certains schémas de pensées automatiques concernant l’âge et les générations.  A plusieurs reprises dans les ateliers, cet exemple a été donné : « Les travailleur·euse·s « âgé·e·s » sont compliqué·e·s à gérer car ils·elles ne peuvent plus faire face à la pénibilité de leurs tâches comme les jeunes. Ils·elles demandent souvent des adaptations de poste, d’horaire. Des exigences difficiles à satisfaire, notamment pour respecter l’égalité de traitement ».  Est-ce réellement l’âge physique qui explique la pénibilité au travail ou plutôt l’ancienneté (le fait d’avoir exercé pendant 25 ans le même geste) ou le capital santé (qui peut être mauvais même jeune) ?

En fin de compte, « faire de l’intergénérationnel », n’est-ce pas avant tout proposer des aménagements pour tou·te·s en tenant compte des besoins identifiés pour chacun? N’oublions pas non plus que des mesures prises à l’égard de certain·e·s produisent très souvent des effets positifs sur le plus grand nombre.

Pour plus d’infos et pour aller plus loin,  n’hésitez pas consulter le site d’Entr’âges :  https://www.entrages.be

 


[1] DUPONT C., et LETESSON M., (2010), « Comment développer une action intergénérationnelle ? », Editions De Boeck Université de Bruxelles, 230 p.