Des clés pour réussir la sortie (de crise) : acte 2

19 mai 2020

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Dans notre nouvelle mini-série d’articles consacrés aux "clés pour réussir la sortie (de crise)", aujourd’hui nous abordons la question de la dynamique d’équipe en posant le postulat que l’éloignement dû au confinement l’a probablement transformée : une attention particulière doit lui être portée et des actions menées pour prendre soin d’elle et de ses membres. 

C’est un article intéressera particulièrement les institutions qui ont adopté le télétravail. 

Identifier, accepter, agir

Nous proposons ici de passer en revue les différents stades d’évolution d’une équipe et leurs caractéristiques. Nous présentons ensuite quels sont les rôles singuliers que le·la manager endosse à chacune de ces phases (en temps normal) pour soutenir son évolution. 

Enfin à partir de là, dans un contexte de reprise post-confinement, il nous semble utile d’opérer un arrêt sur image, d’identifier ce qui s’est passé pour les équipes et de proposer une série de points d’attention pour les manager ainsi que quelques outils pour soutenir leurs actions vis-à-vis de l’équipe au moment de la reprise. 

Le secteur non marchand regorge d’une grande diversité de modes d’organisation. Le schéma hiérarchique reste cependant largement répandu. Pour tenir compte de ces réalités et par facilité de rédaction, nous avons utilisé de manière générique le terme de « manager » pour indiquer le rôle particulier que prend le·la « gestionnaire de compétences » dans cette reprise au travail. Ce rôle peut être endossé par différentes de personnes :  une direction, un·e cadre des ressources humaines, un·e référent·e-formation, un·e conseiller·ère en prévention aspects psycho-sociaux, un membre de CA ou encore un·e travailleur·euse qui peu à peu a pris le rôle par défaut. L’initiative du travail d’analyse proposée ici peut donc être prise par des profils bien différents, voire un groupe de travail représentatif de l’association ou toute personne que la structure estime la plus apte à remplir la mission.  Quelle que soit la solution mise en place dans votre structure, il est important que le·la porteur·euse ait un mandat, une légitimité et une connaissance forte de l’histoire et des ressources de l’organisation. 

Pour rédiger cet article, nous nous sommes basés sur une fiche résumant la théorie de Tuckman et Jensen (1977) du réseau wallon de développement rural et sur un webinaire gratuit proposé par Convidencia sur le fonctionnement de l’équipe dans une vision holarchique[1] .



Selon la théorie de Tuckman et Jensen , toutes les équipes passent par cinq phases de développement, qui correspondent à leur stade de maturité: 

  1. Constitution (forming) 
  2. Démarrage (strorming) 
  3. Régularisation (norming) 
  4. Production (performing)
  5. Dissolution (mourning) 

Quel que soit le stade dans lequel votre équipe se trouvait avant la crise sanitaire et le confinement, il y a fort à parier que son état ait été bouleversé durant cette période inédite de travail à distance imposé et que vous ne la retrouverez pas à l’identique. Par ailleurs, étant donné la longueur du confinement, l’équipe n’est sans doute pas passée d’un état A à un état B du jour au lendemain. Le début de la période de confinement a probablement été l’un de moment clé d’une transformation collective, la durée du confinement a quant à elle aussi sûrement provoqué une évolution progressive de son fonctionnement. 

Tout au long de la période de confinement, le degré de maturité de votre équipe a fluctué en fonction des situations personnelles individuelles, des imprévus et urgences, des contraintes, des opportunités d’adaptation, de la motivation et de l’engagement des un·e·s et des autre·s, des directives reçues, des moyens technologiques à disposition, etc. 

Plusieurs scénarii  sont donc possibles, avec des résultats variables  par rapport aux objectifs et missions, d’inévitables ralentissements mais aussi des effets inattendus positifs. Competentia a par exemple récolté des témoignages de responsables et travailleur·euse·s sur capacités d’innovation et de développement des équipes pour continuer à faire vivre leurs projets.  

 

scenarii

En tant que coordinateur·rice, chef·fe d’équipe, responsable, il est utile d’identifier quelle évolution votre équipe a vécue dans sa cohésion et sa maturité à collaborer. Comment l’équipe fonctionnait-elle avant, comment a-t-elle fonctionné pendant ? Qu’a-t-elle appris ? Où en est-elle au moment de la reprise ? 

Cette analyse vous permettra d’interagir efficacement auprès de votre équipe et de soutenir sa dynamique pour une reprise en tant que collectif.  

Les stades de l’équipe à l’épreuve du covid-19

La phase de constitution (forming)

Caractéristiques

Les membres du groupe se rencontrent, apprennent à se connaître et à travailler ensemble, se positionnent les uns par rapport aux autres ; les tempéraments surgissent (les leaders naturels apparaissent). 

Les questions de cette phase sont : pourquoi sommes-nous là ? Quel est notre objectif ? Qui sont les autres ? Quel est le sens de mon engagement dans ce projet ?

Le rôle du·de la manager : team-building.

  • Fédérer des personnalités,
  • Créer un climat de confiance,
  • Fixer les objectifs de l’équipe et des projets, 
  • Fournir une direction claire, 
  • Etablir avec l’équipe des normes de fonctionnement pour travailler ensemble. 

Retour à la normale

Les priorités, les missions ou les objectifs de l’équipe seront peut-être bouleversées. De nouvelles règles communes doivent être trouvées, intégrant des directives qui dépassent parfois les règles internes (sanitaires par exemple). Les personnes ne sont pas tout à fait des inconnues les unes pour les autres mais le contexte dans lequel elles évoluent a peut-être changé, leur imposant de ré-apprivoiser un espace et des relations pourtant connues.  

Le·la responsable d’équipe doit être particulièrement attentif·ve au fait que le covid-19 a peut-être impacté les représentations, les valeurs, les idées de chacun·e et que ces dernières peuvent être divergentes.

Investir dans des activités de partage, de co-construction, de renforcement du respect et de la confiance mutuelle sera particulièrement bienvenu pour favoriser la cohésion au sein de l’équipe dans ce nouveau contexte. Pensez à décaler ces moments par des jeux ou des outils d’intelligence collective.  Par exemple, pourquoi ne pas utiliser le world café  ou le fleuve de vie pour faire une analyse collective et valoriser ce qui s’est passé durant le confinement pour l’équipe. Quelles ont été ses succès ? Qu’a-t-elle appris ? Quelles plus-values peut-elle retirer cette épisode ? Sur quel cadre de référence commun peut-elle s’appuyer ? Quelle forme de solidarité s’est mise en place ?

La phase de démarrage (storming) 

Caractéristiques 

C’est l’émergence d’une organisation du travail et des modes de fonctionnement, le début des positionnements individuels, des points de vue différents, des luttes de pouvoir. La collaboration est rendue difficile à cause de malentendus (leaders naturels mis en cause).

Les questions de cette phase sont : Comment me faire entendre ? Quelles sont les règles ? Comment résoudre les différends ? Comment coopérer ? Sommes-nous la bonne équipe pour ce projet ?  

Le rôle du·de la manager :  gestion des conflits

  • S’assurer que les membres du groupe s’écoutent, se comprennent et respectent leurs différences : ils apportent tou·te·s une perspective unique au projet et tous auront des idées à partager,
  • Faciliter des réunions d’équipe.  

Retour à la normale 

Il se peut que votre équipe se trouve à ce stade, chaque collègue ayant une idée bien précise des conséquences qu’a provoqué le Covid sur les activités et missions du service, sur ce qui doit être fait, sur la façon dont  le projet doit se développer/s’adapter.

Dans la réflexion autour de la reprise des activités, de l’avenir ou des adaptations à apporter aux projets, des outils de gestion de projet participatifs peuvent être mobilisés. Par exemple, organisez des réunions de libération de la parole avec les 6 chapeaux de De Bono.  Cet outil permet de récolter des points de vue différents et d’avoir des angles de vue parfois opposés. Associer les résultats de ce brainstorming à une méthode de priorisation des décisions (les gommettes ou les cinq doigts par exemple) dégagera des pistes collectives pour l’orientation à donner au projet.  

En tant que N+1, il est indispensable de réduire les tensions et de réguler les échanges. Favorisez les échanges assertifs, c’est-à-dire permettant de s’affirmer, tout en respectant et en écoutant les différents membres du groupe. Rappeler ce qui est de l’ordre du « déjà décidé » ou de « l’intangible » (cadre, réglementations…) clarifiera aussi la marge de manœuvre possible. 

La phase de régularisation (norming) 

Caractéristiques 

Les normes implicites et explicitent sont utilisées au sein du groupe, l’identité du groupe se forme et renforce la coopération, la stabilité et l’engagement.  Les comportements et les contributions acceptables au sein du groupe sont normalisés. On sait ce qui est toléré ou non. 

Les questions de cette phase sont  : Quel est mon rôle dans l’équipe ? Quelles sont nos règles de travail ensemble ? Qui peut m’aider ? Comment prenons-nous les décisions ?

Le rôle du·de la manager : négociation

  • Laisser de l’autonomie et des responsabilités dans la prise de décision d’équipe et la résolution de problèmes,
  • S’assurer que l’équipe résout rapidement les conflits et fonctionne collaborativement,
  • Intervenir si nécessaire pour que l’équipe continue à aller dans la bonne direction,
  • Permettre au groupe de trouver un consensus autour d’un cadre commun de travail pour travailler efficacement, 
  • Faciliter la mise à jour de la charte de fonctionnement si nécessaire. 

Retour à la normale

Durant le confinement, pour assurer l’équilibre et la pérennité des activités, certaines équipes ont adopté des nouveaux modes de fonctionnement, des nouveaux modes de communication et des nouvelles procédures de gouvernance. Des rôles sont apparus pour répondre aux besoins de la situation. Cette situation inédite, déstabilisante dans un premier temps, a peut-être tout de même eut quelque chose de bon. Que garder de tout cela? Quels apprentissages inattendus peuvent être transposés dans le contexte normal de travail ? Quelles nouvelles compétences est-il possible de transférer ? 

Il sera particulièrement intéressant pour un·e supérieur·e hiérarchique de passer par une phase de reconnaissance et de valorisation des résultats obtenus collectivement malgré les conditions inattendues. L’identification de ces éléments crée un cadre de référence commun à l’équipe et participe à l’émergence (ou au renforcement) des valeurs de l’équipe (solidarité, respect des rythmes individuels, orientation bénéficiaires, etc.).

Le blason est un outil ludique et visuel qui peut aider à capitaliser les informations et retenir les éléments pour le futur (par exemple : l’outil à garder ? Ce qu’on a mis en place par obligation mais qu’on n’aime pas / qui n’a plus de raison d’être ? L’apprentissage majeur ? La compétence inattendue ?). 

La phase de production (performing)

Caractéristiques 

La structure collective est stable, les tâches et les objectifs sont relevés à l’unisson, l’interaction entre les membres de l’équipe est fréquente et ils peuvent et aiment travailler ensemble. 

Les questions de cette phase sont :  comment nous améliorer en continu ? Comment gérer nos compétences et capabilités ? Comment conserver un niveau d’engagement élevé ?

Le rôle du·de la manager : motivation 

  • Servir de passerelle entre l’équipe projet et les parties prenantes, 
  • Aider si des décisions doivent prises à un plus haut niveau dans l’organisation,
  • Motiver son équipe à effectuer l’activité pour laquelle elle est réunie, si c’est nécessaire.

Retour à la normale

Si au retour du confinement, l’équipe se trouve à ce stade, on peut la qualifier d’ensemble pertinent, c’est–à-dire que l’équipe est plus efficace que les individus. Il sera ici utile de maintenir cette dynamique en pointant que durant tout le confinement ses membres ont appris ensemble, se sont mobilisés autour d’un projet commun, ont co-créé, ont été solidaires les uns envers les autres, ont partagé un cadre de référence commun et ont produit de la plus-value ensemble. En un mot, rappeler que chacun·e a sa place dans un collectif, que l’engagement individuel participe à quelque chose de plus grand, d’inspirant et qui a du sens.  

Par ailleurs, le·la responsable renforcera la motivation de chacun·e des travailleur·euse en reconnaissant ce qu’il·elle est (sa singularité dans l’équipe), ce qu’il·elle fait (ses résultats) et ce qu’il·apporte au collectif (l’appartenance au groupe). Profitez du retour du confinement pour organiser des entretiens individuels.



La phase de dissolution (mourning)

Caractéristiques

C’est le moment de la séparation des membres de l’équipe, la fierté de ce qui a été fait, le sentiment de passer à autre chose.

Les questions de cette phase sont : comment notre travail sera reconnu ? Quel est mon futur ?

Le rôle du·de la manager : valorisation

  • Célébrer les succès,
  • Capturer les bonnes pratiques et de les partager sur de futurs projets,
  • Reconnaître le travail effectué par les membres du groupe,
  • Valoriser l’apport de chacun·e à l’atteinte des objectifs.

Retour à la normale

Paradoxalement, cette étape ultime du développement des équipes sera vécue par toutes au moment du retour à « la normale ». En effet, c’est la fin d’une première période d’incertitude (celle du déconfinement en sera un autre), d’un épisode inédit ; la fin de quelque chose qu’on peut qualifier d’expérience. 

Bien sûr, les équipes en tant que telles ne disparaissent pas, mais le contexte temporaire dans lequel elles ont été plongées malgré elles disparaît. Avec le risque que la dynamique extraordinaire qu’elles auront développée durant cette période passe inaperçue. Eloigné·e·s les un·e·s des autres, chacun·e chez soi, on ne se sera même pas rendu compte de la surprenante capacité de résilience des individus et des équipes. Replongés dans la frénésie de « l’avant », il sera vite fait d’oublier tout ce qui s’est passé et de ne pas en tirer les leçons.  

Conclusion 

Alors l’invitation en guise de conclusion est de prendre le temps de la reconnaissance et de la valorisation des conséquences que cette « crise » aura eu sur les institutions, sur les équipes, sur les travailleur·euse·s.

Que le maître-mot depuis 8 semaines, dure encore un peu : prenez soin de vous et des autres !

 

 

Notes & références

  1. Mode de gouvernance qui permet de disséminer les processus de prise de décisions au travers de plusieurs petites équipes auto-organisées et indépendantes